mercredi 21 novembre 2012

Rencart (raté) avec Rodin


Pourquoi tu ne m'as pas transcendée.

Tout d’abord parce que je suis nulle en sculpture, et tu ne m’as pas beaucoup aidé quand on s’est rencontré. Oui, attaquer tout de suite avec ‘La tempête’, c’est un peu rude. Non ? Je suis une femme sensible, il faut y aller avec douceur ! 


Pour tout te dire,  je ne connaissais pas ton prénom avant de venir. Auguste. Charmant. Dans l’air du temps. De vieux prénoms qui reviennent à la mode. Ok, je sais que ce n’est pas très sérieux. Mais que veux tu, tu as fait le mec mystérieux jusqu'au bout ! 
Une fois devant tes œuvres j’ai été un peu perdue. Je ne suis même pas certaine de connaître 4 autres sculpteurs. Ou alors je connais les noms, mais pas les œuvres, et/ou inversement. 

J’étais persuadée que ton ‘Penseur’ avait la main portée au front. Alors que non, il l’a sous le menton. 




La vérité est là. Je n’ai pas bossé mon sujet avant de venir. Je pensais que tu serais facile d’approche, que tu m’aurais prise par la main en m’expliquant tout. Rien. Nada. Nothing. Jeté au milieu de toutes tes sculptures à essayer de différencier le devant du derrière.


Je ne m’y connais pas en sculpture, mais ça ne veut pas dire que je n’y suis pas sensible ou que je n’ai pas d’avis...  

Je trouve le marbre trop imposant. La matière est froide. Il manque de la douceur. Je n’ai pas ressenti d’émotion particulière devant ‘Fleurs dans un vase’, ‘La femme poisson’. J’avais en face de moi du marbre, distant, hautain et glacial. Ce n’est pas une manière de se comporter lors d’un rendez-vous. Auguste, tu n’as pas cherché à savoir ce que je pouvais ressentir. Non, tu t’es contenté de ton talent. Ça ne suffit pas pour la femme. 

Quant au choix  des noms de tes œuvres. Sérieusement. Tu m’expliqueras un jour ? 

Je ne remets pas ton travail en cause Rodin. Tout le monde loue ton toucher, ta vision, ton élégance... C’est qu’il doit y avoir une raison. 




Même si tu étais un peu froid avec moi, il y a quelques petits trucs que j’ai aimé chez toi. Tout d’abord, ‘Le baiser’. En vrai, en grand, en énorme. Imposant, élégant, envoûtante, et même inspirante. QUI VEUT ME FAIRE DES BISOUS ? Malgré le marbre et la taille énorme de la sculpture, j’ai perçu de la finesse, de la légèreté. Je veux la même chez moi, dans mon salon. Tu ferais ça pour moi Rodin ? Ou un de tes sbires, je ne suis pas à ça près ! 





‘Le penseur’. Je ne pouvais pas passer à côté. Alors j’ai fait la vandale, et je suis passée en dessous du ruban pour aller lui dire bonjour. A quoi pensais-tu quand tu l’as fait ? Je pose juste la question hein ! Bref, mythique ‘Le penseur’ ! 
‘La main de Dieu’, tout en douceur et en poésie. Une envie de se blottir dans cette main protectrice. Dans le même genre, ‘Mains d’amants’, ce que nous ne seront jamais, Rodin. Un peu d’attention et d’amour, suspendu au temps.






Tu ne m’as pas susurré de mots doux à l’oreille, tu as été distant, et hautain. Malgré ça, je crois que je t’aime un peu. Comme on aime un enfant, une veste que l’on chérie. Plus de l’affection que de l’amour. Car tu vois, je n’ai pas envie de finir comme Camille Claudel. Mourir seule après t’avoir tant aimé. 

Je ne crois pas, Auguste, que l’on va être amenés à se revoir. 

Si l’avenir doit croiser nos chemins, ça sera au détour d’un musée, d’une expo, avec un Audio-guide...!


jeudi 15 novembre 2012

Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé


Pour Elio,
un peu de soleil de ces terres
qui coule dans tes veines
qu’il illumine ton regard

Le soleil des Scorta, c’est typiquement le livre qui ne me tente  pas aux premiers abords. Un titre bof, une couverture bof, un format bof, et une quatrième de couverture lu en diagonale. Mais c’est typiquement le genre de livre, que j’aime dès les premiers mots. Un style d’écriture poétique, une histoire dure et sensible. Un livre que je vais m’empresser d’ouvrir à chaque moments de stand by. C’est aussi le livre qui, une fois terminé, reste dans ma mémoire. Bref, un réel plaisir. 


D’un côté l’auteur, a été Goncourt 2004. Certains Goncourt ne valent pas d’être lu (suivez mon regard), mais celui là. JE DIS OUI. 
Idées un peu en vrac. C’est le cœur et la fatigue qui parlent.

Nous voilà au bout du monde, pensa l’homme. Je rêve depuis quinze ans à cet instant. » [...]
L’âne atteignit le sommet de ce qui semblait être la dernière des collines du monde. C’est alors qu’ils virent Monteppucio. L’homme sourit. Le village s’offrait au regard de sa totalité. Un petit village blanc, de maisons serrées les uns contres les autres, sur un promontoire qui dominait le calme profond des eaux. Cette présence humaine, dans paysage si désertique, dut sembler bien comique à l’âne, mais il ne rit pas et continua sa route.

Violence, douceur, compassion, mélancolie, voilà ce qui nous est raconté dans ce livre. 
Une famille se bat génération après génération pour garder la tête haute et lutter contre le mauvais sort. Elle le fait avec une volonté qui brise le cœur car les Scorta sont né de rien. Dès le commencement il n’y a pas même une once de bonheur et de joie dans leur vie. Il a fallut suer chaque jour pour construire leur avenir.  


Tout se passe dans le petit village de Monteppucio. Les générations se succèdent, tout le monde se connait, tout le monde va se détester, se pardonner, se diviser, se déchirer, se reconstruire. Le temps va aider les cœurs à se forger, et les âmes à devenir plus belles. Car en Italie, dans les régions les plus reculées, il fait parfois bon vivre. Mais pas tout le temps. 
Après la mort de Luciano, le premier des Scorta, sa fille et ses trois fils font la promesse de partager à leurs neveux et nièces un petit bout de leur savoir, un petit secret profondément enfouit. Et surtout, ils font une promesse encore plus belle, celle d’être heureux. D’être heureux ensemble, en famille.
Ils étaient maintenant tous épuisés comme après une bataille. Épuisés et heureux. Ils avaient joui, ensemble, d’un peu de vie. Ils s’étaient soustraits à la dureté des jours. Ce repas resta dans toutes les mémoires comme le grand banquet des Scorta. Ce fut la seule fois où le clan était au complet. [...] Ils étaient tout à leur bonheur sous le regard généreux de Raffaele, que le spectacle de ses frères dégustant les poissons qu’il avait lui-même grillés faisait pleurer de joie.
L’auteur nous conte ces années difficiles avec une telle douceur que l’on ne peut pas détester les Scorta. On ne peut pas se détacher d’eux. On ne peut pas les haïr alors qu’on apprend qu’ils ont tué, pillé, dépouillé et brûlé leurs biens, leurs voisins...


La force qui unie la famille est plus forte que tout. Au fil des pages, on devient nous aussi un membre de la famille Scorta. On connait leurs faiblesses, leurs torts, leurs secrets, leurs envies. On sait tout d’eux, et on apprend à les aimer. 
Comment ne pas les aimer après tout ce qu’ils ont vécut ? Comment ne pas partager leur cause quand le sort est contre eux ? Comment ne pas les aimer quand leur seul souci c’est d’être simplement heureux en famille ? 
Tout est raconté avec poésie. Les mots choisis rendent plus doux la situation. On ressent vraiement cette volonté de protéger les siens. Les Scorta ne lâchent rien. Ils sont sous le ciel brûlant des Pouilles, et c’est là que chacun mourra en paix. Tous se souviendront des moments de joies passées  avec leur famille. Ces moments seront mêlés aux moments de douleur et aux échecs vécus. Mais aucun d’eux ne regrettera de ne pas avoir quitté Montepuccio et vu le monde.
 Il lui fallait le ciel entier, plein d’étoiles mouillées  pour épancher sa mélancolie. Il ne demandait rien. Que le laisse simplement glisser au fil de l’eau en abandonnant dernière lui les tourments du monde. 




« Domenico lâcha d’un ton sans appel un magistral « Ma van fan’ culo ! » qui fit rire sa sœur aux éclats. 
Ils firent une halte sur le bord de la route et au fond ils étaient heureux de cette occasion qui leur était offerte de reprendre leur souffle et de contempler le bout de chemin qu’il restait à faire ».